Carole Drucker-Godard, une enseignante-chercheur devenue rectrice passionnée

Rencontre avec Carole Drucker-Godard, nouvelle rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l’académie de Montpellier et chancelière des universités.

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Après la grande valse opérée il y a quinze jours dans les régions académiques dont treize ont connu des mouvements, Sophie Béjean a rejoint le Nord tandis que Carole Drucker-Godard a pris ses fonctions à Montpellier ce mercredi 26 mars. Rencontre avec la nouvelle rectrice de la région académique Occitanie, de l’académie de Montpellier et chancelière des universités.

Parcours universitaire

« J’arrive avec une joie immense. Je m’estime très chanceuse. Et avec beaucoup d’enthousiasme mais c’est ma nature ». Après seulement une journée à Montpellier, avec « des étoiles dans les yeux en découvrant la beauté du rectorat », Carole Drucker-Godard a rencontré la presse locale pour l’exercice traditionnel de présentation. Où l’occasion, sans évidemment rentrer dans le coeur des dossiers, de dessiner ses objectifs mais surtout sa philosophie et méthode à travers son parcours et ses expériences.

Enseignante-chercheur à l’université Paris-Nanterre après une thèse sur « La gestion au quotidien des priorités du dirigeant » soutenue en 2000, Carole Drucker-Godard a mené des recherches d’abord sur le management stratégique en étudiant « comment obtenir un résultat collectif excellent à partir des compétences individuelles de chaque membre d’une équipe » notamment dans les domaines des restaurants trois étoiles et de la voile, puis sur les ressources humaines « sur la motivation, la satisfaction, l’implication… au travail ». La recherche n’étant alors qu’un pan de son activité. « J’étais très enseignante, un peu plus que chercheur. J’ai énormément aimé enseigner et j’aime toujours enseigner, c’est ma vocation » confesse-t-elle.

À l’origine de la création de plusieurs formations en science de gestion avec « l’idée d’offrir un tremplin à des étudiants », c’est alors dit-elle que « le service public a commencé à me manger et m’envahir au fur et à mesure de mes années à l’université. Quand on dit l’expression « chevillé au corps », je le sens physiquement. C’est quelque chose qui m’habite et que j’aime ». En parallèle à ce parcours, en 2015 elle devient vice-présidente de l’université Paris-Nanterre en charge de la formation initiale et de l’innovation pédagogique. De plus, elle se voit nommée à la présidence de la commission d’évaluation des formations et des pôles de gestion (CEFDG) lui apportant « une vision plus globale de l’enseignement supérieur ».

Dans « le grand bain » à Limoges

Poussée en 2020 par Jean-François Balaudé à prendre sa suite, Carole Drucker-Godard se présente aux élections pour la présidence de l’université. Candidate malheureuse, elle en garde un souvenir partagé avec d’une part « une campagne extraordinaire et intense avec beaucoup de rencontres » et de l’autre l’échec de très peu dont elle dit « l’avoir très bien pris. Enfin… je ne l’ai pas mal pris ». Reste que son nouveau rôle au sein du conseil d’administration ne lui convint pas. « Je n’avais pas envie d’être absolument dans l’opposition, mais ce n’était pas très agréable d’être en face de l’équipe qui n’était pas la mienne et j’étais triste pour l’équipe que j’avais formé ». Confessant également avoir « un peu perdu sa proximité avec les étudiants », la situation est alors « moins agréable » pour celle qui a toujours témoigné à ses enfants son bonheur et la chance de « partir au travail avec le sourire ».Vidéos : en ce moment sur Actu

Alors « comme un lion en cage », elle reçoit un vendredi soir un coup de téléphone du cabinet de Jean-Michel Blanquer lui demandant de se présenter le lundi au ministère de l’Éducation nationale. Si elle évoque aujourd’hui « un miracle », sur le moment elle pense d’abord « avoir commis une bêtise » avant de balayer l’idée, car dépendant par ses fonctions du ministère de l’Enseignement supérieur, pour songer à un poste de rectrice. « Je savais mais pas en détail ce que cela représentait ». Elle potasse donc dans le week-end, réussit l’entretien et, cinq jours plus tard, débarque dans la préfecture de la Haute-Vienne en plein mois de novembre, pendant le covid, durant le couvre-feu, sans avoir eu de formation, en tant que rectrice de l’académie de Limoges. « J’étais dans le grand bain et cela a été un peu difficile pendant 18h. Puis j’ai appelé mon mari pour lui dire que c’était bon, que je saurai faire et que j’aimerai. Et j’ai adoré. J’ai passé quatre années professionnelles absolument extraordinaire ».

L’apprentissage de la fonction

Si Carole Drucker-Godard ne connait pas le territoire sur lequel elle doit opérer, elle voit toutefois cela comme une opportunité. Quittant Paris pour Limoges, elle se met à « sillonner le Limousin avec ma famille le week-end. J’ai essayé de le connaître, le comprendre, le sentir et vraiment m’y intégrer ». Elle parle de cette expérience avec beaucoup de passion et d’attachement aux personnes, aux enseignants jusqu’à même les organisations syndicales en passant par les différents acteurs du territoire, qu’ils soient associatifs, culturels ou politiques.

Au sein de la deuxième plus petite académie de France présentée comme « une académie de formation où on ne reste pas longtemps », elle dit justement avoir « tout appris ». Pour autant ce roulement ne lui parait pas opportun donc elle glisse à l’oreille de Jean-Michel Blanquer d’ »arrêter de faire bouger les recteurs dans cette académie car c’est d’abord presque méprisant pour les équipes et on n’a pas le temps de construire ». Elle restera ainsi quatre ans qui lui permettent de « construire et beaucoup apprendre ».

L’expérience d’un cabinet ministériel

En septembre dernier, tandis que se déroule la nomination du gouvernement de Michel Barnier, de passage en famille à Paris le temps d’un week-end, elle reçoit un nouvel appel cette fois de l’Élysée lui demandant de devenir directrice de cabinet de la ministre de l’Éducation nationale Anne Genetet. Si Carole Drucker-Godard est « honorée », elle refuse d’abord le poste, « Je sais être rectrice et je pense que je suis utile sur le terrain donc laissez-moi rectrice » rétorque-t-elle avant d’accepter et de devoir quitter Limoges du jour au lendemain. Un véritable déchirement. « J’ai fait le deuil du Limousin, de Limoges, de la rectrice de Limoges mais je n’avais pas fait le deuil de la rectrice. Tout le monde autour de moi savait qu’une fois que je ne serai plus directrice de cabinet, il fallait que je redevienne rectrice. Il n’y avait pas d’obligation bien sûr ». Une expérience, durant laquelle elle vécut « des choses incroyables » mais où « le terrain lui manquait », qui ne durera finalement que trois mois avec la destitution de Michel Barnier. « J’en ressors grandie, avec une assurance plus grande » et, ayant dû « inverser son cerveau », une certitude : « C’est un travail de l’ombre qui est essentiel. Quand le recteur est bon, c’est parce que le directeur de cabinet est bon ».

Après une courte pause, elle conduit une mission sur les savoirs fondamentaux dont elle tire « beaucoup d’idées » et précise concernant le pilotage par la donnée : « Il ne faut pas faire que ça car cela prend du temps et il faut que cela infuse jusqu’au chef d’établissement mais cela peut être très utile pour les instructeurs, les DASEN, les chefs d’établissement et cela nous permet d’améliorer la réussite notamment sur les fondamentaux mais pas que car cela doit être transversale. L’apprentissage du français et des mathématiques doit transpirer sur les autres disciplines ». Le retour à un poste de rectrice ne tardera pas avec sa nomination en Occitanie il y a quinze jours.

Un nouveau défi en Occitanie

Une nouvelle destination mais également de nouvelles fonctions. « Je n’ai pas peur. Je ne vais pas dire que je sais tout faire. J’ai besoin de connaître le territoire mais je sais que cela va aller. Je dois maintenant apprendre la région académique et le périmètre enseignement supérieur même si je viens de l’université ».

Devenant pour la première fois rectrice de région académique, Carole Drucker-Godard dit avoir été à « bonne école en Nouvelle-Aquitaine car la rectrice de Bordeaux qui était la rectrice de région a toujours fait participer les deux rectrices de Poitiers et Limoges. C’est elle qui décidait mais on travaillait en bonne intelligence, toujours dans le consensus. J’ai beaucoup appris à ses côtés et notamment en participant avec elle à la construction de la région académique Nouvelle-Aquitaine ». Un bon socle de connaissances enrichi ici au contact des différentes rencontres qui vont s’enchaîner dans les prochains jours.

Quant à l’enseignement supérieur, en lien avec le recteur délégué dédié et le recteur de Toulouse, impatiente de poursuivre le travail engagé, elle en profite pour saluer Sophie Béjean. « En cinq ans, elle a fait beaucoup de choses sur le plan de la région académique et de l’enseignement supérieur. J’ai vu les projets en cours, cela va être passionnant ».

Orientation et IA, l’importance de l’humain

Parmi les sujets prioritaires, la nouvelle rectrice évoque l’orientation : « Derrière Parcoursup il y a beaucoup d’humains et c’est un vrai outil mais il y a des choses à améliorer et encore beaucoup de communication et d’informations à faire. Cela doit être beaucoup moins angoissant et je comprends que cela le soit » et souligne également : « Il faut évidemment encore travailler sur l’orientation et absolument que nos élèves aient une palette bien plus large de possibilité de métiers. Tous les métiers sont beaux ». Avec une ligne directrice donnée comme un mantra aux enseignants : « La toile de fond pour les élèves, c’est la confiance en soi. Il n’y a rien de pire que de briser la confiance d’un élève. Certains arrivent à remonter mais ce n’est pas toujours le cas. Pour moi, ce n’est pas que c’est inadmissible mais c’est que je ne peux pas l’accepter ».

Autres priorités, l’école inclusive avec la question du manque d’AESH notamment, ou encore le numérique et l’intelligence artificielle. « La modernité, je la vois très souvent comme une chance mais il faut savoir s’en servir. Et celle-ci, elle m’a d’abord fait peur. Cela me fait toujours peur mais uniquement si on ne sait pas s’en servir mais ce n’est pas simple » et de mettre en avant la formation des enseignants pour « comprendre comment les élèves se servent de l’intelligence artificielle et expliquer aux élèves comment s’en servir ». Elle reconnait pour autant : « Il ne faut pas tomber dans les travers de ne pas s’en servir du tout car, une fois qu’on sait faire, cela peut effectivement aider à accélérer le travail. Mais cela ne doit pas faire le travail que l’on devrait faire. Il faut faire attention car oui il faut continuer à réfléchir, à rédiger, à lire et c’est ce qu’on apprend à nos élèves ».

« Ce ne sont pas que des paroles »

Sur la laïcité, regrettant que « la situation est de plus en plus complexe », la formation des enseignants se poursuit depuis cinq ans avec l’objectif des 100% en 2026. « Cette formation il va falloir l’entretenir. C’est très important pour les personnels de savoir comment réagir quand il y a un problème de laïcité, savoir repérer aussi. C’est important de savoir apprendre ce qu’est la laïcité aux élèves et ce n’est pas simple du tout. C’est un sujet sur lequel nous devons avoir une vigilance de tous les instants, avec de la sensibilisation, de la formation et ne pas laisser passer en expliquant pourquoi. Cela prend du temps et il ne faut rien lâcher ». Le ton est le même concernant les questions de sécurité, dont certains dossiers ont déjà attiré son attention, pour lesquelles elle entend tenir « une parole de grande fermeté. Il ne faut pas laisser passer des choses intenables et inadmissibles en étant à l’écoute de ce qu’il se passe mal. S’il y a ces problèmes c’est qu’il y a un mal-être donc il faut travailler à la source ». 

De par son domaine de recherche universitaire, Carole Drucker-Godard porte également un intérêt au bien-être des personnels. « Ce ne sont pas que des paroles. Il est important d’avoir des enseignants qui se sentent bien, c’est aussi comme ça que les élèves se sentent mieux. Cela peut paraître être de bons mots mais il faut le faire concrètement et je veux le faire concrètement » argumente-t-elle. Et, aux enseignants qui pourraient être bloqués par son statut de rectrice ou douteraient de ses intentions, elle invite à la voir comme l’enseignante qu’elle a été et revendique d’être encore.

« je vais être passionnée ici »

Heureuse d’être en Occitanie,  une région dans laquelle « on construit des collèges, des lycées… Ce n’est pas le cas partout », elle loue ainsi « le dynamisme de l’académie de Montpellier de par la démographie ». Ce qui était loin d’être le cas dans le Limousin. De manière globale, la nouvelle rectrice compte bien amener « un nouveau dynamisme, un regard nouveau » en précisant « ce n’est pas mieux ou moins bien, c’est différent et c’est bien que ce soit différent. Tout le monde en a besoin ». Quant à la méthode avec ses interlocuteurs, la nouvelle rectrice prône le dialogue et le consensus en soulignant : « On peut ne pas être d’accord mais on s’explique et on fait avancer les choses. Et pour moi, c’est toujours l’intérêt des élèves qui va primer et des professeurs comme de tous les personnels aussi. Avant, les étudiants étaient au coeur de mon métier, aujourd’hui ce sont les élèves. Quoi de plus beau ? ».

Désormais à Montpellier, Carole Drucker-Godard poursuit ainsi un parcours professionnel pour lequel elle dit ne jamais avoir milité. « J’ai été nommé présidente de la CEFDG, puis rectrice, puis directrice de cabinet sans savoir pourquoi, ni qui avait donné mon nom ».  Il en serait de même pour ce nouveau poste. Pour autant, tout cela ne tombe pas du ciel évidemment. « J’ai eu beaucoup de chance mais je sais que la chance parfois elle arrive et parfois elle se provoque, je pense quand même que je l’ai provoqué car j’ai beaucoup travaillé. J’aime travailler mais je ne travaille que sur des sujets qui me passionnent donc, je le sais, je vais être passionnée ici ».